Il y a quelques semaines, Bun KATSUTA, l’autrice du très beau, très drôle et très humain Futarô, Journal d’un réformé, nous a contactés via son éditeur : elle souhaitait écrire un message à ses lecteurs français à l’occasion de la commémoration de la fin de la Seconde Guerre Mondiale.

Finalement, les interrogations que nous avions sur son travail ont changé ce petit message en une courte interview, que nous vous proposons ici.

Qu'est-ce qui vous a donné envie de vous lancer dans cet ambitieux projet ?

Bun KATSUTA : J’avais envie de travailler sur une adaptation en manga depuis longtemps lorsque l’éditeur de Morning (Kodansha) m’a suggéré d’adapter Journal d’un enfant de la guerre (Senchūha Fusen Nikki). J’avais déjà de l’expérience dans les adaptations, et l’idée de m’attaquer à une œuvre à laquelle je n’avais pas pensé moi-même m’a plu. Journal d’un réformé remplissait tous mes critères.

J’ai cependant eu quelques hésitations au moment d’accepter. Le livre donnait l’impression de tout faire pour dire que « la guerre est inévitable », et je trouvais ça terrifiant. Pourtant, en le lisant, j’ai ressenti la même inquiétude que celle que j’éprouve face au monde actuel, et cela m’a convaincu que je pourrais relever le défi malgré mon appréhension.

Fûtarô Yamada a déclaré qu’il n’avait pas écrit ce livre dans une optique antimilitariste. Je me suis donc appliqué à transmettre, à ma manière, ce que cette guerre a représenté pour lui.

Votre trait a-t-il évolué pour s'adapter au contenu de l'œuvre ?

Bun KATSUTA : Je ne l’ai pas fait consciemment, mais il se peut que ma volonté de ne pas altérer l’impression générale du texte original m’ait influencée.

Un journal est-il une œuvre difficile à adapter ?

Bun KATSUTA :  Oui, cette adaptation a été particulièrement difficile. Lorsque je travaille sur une adaptation, je m’applique à ne pas altérer l’œuvre originale. Transformer un journal en une histoire construite s’est avéré bien plus compliqué que prévu, et j’ai eu beaucoup de mal à mettre en place la structure narrative.

En fin de compte, j’ai peut-être pris plus de libertés que prévu pour des questions de mise en scène. Mais à mon avis, j’ai transmis intacte la question au cœur du journal de Fûtarô Yamada : « qu’a voulu dire cette guerre ? »

À mon sens, ce « journal » montre simplement comment un jeune homme percevait cette guerre à l’époque, comment il y n’a pas eu d’autre choix que d’y faire face. Il ne cherche pas à imposer une vision aux lecteurs.

 

Je ne veux pas, dans ce livre, rajouter mes opinions personnelles à celle de l’auteur, mais si je devais en exprimer une, ce serait : « ne pensez pas que la guerre est inévitable ». La plupart des gens qui lisent des mangas sont sans doute au chaud, sous un toit, chez eux ou au café. J’aimerais que ces lecteurs pensent : « je ne veux pas perdre cela ». 

Qu’ils réalisent que vivre dans une société où l’on peut lire librement des mangas est une chance, tout comme le fait que Fûtarô Yamada ait survécu à cette guerre pour ensuite nous offrir tant d’œuvres magnifiques. 

Je souhaite juste qu’ils se disent : « je ne veux pas entrer dans un bain aussi sale », « je ne veux pas connaître la faim », « je ne veux pas mourir ». J’espère qu’ils détesteront la guerre au plus haut point, qu’elle se déroule dans un endroit lointain ou juste à côté. Cela ne correspond peut-être pas à l’intention de Fûtarô Yamada, mais c’est mon ressenti.

 

Comment représenter un événement comme le bombardement atomique, dont l'auteur ignorait tout sur le coup ?

Bun KATSUTA : Pour le bombardement, je me suis uniquement fiée aux descriptions contenues dans le journal lui-même.

La reconstitution a-t-elle été difficile ? L'action se déplace dans plusieurs régions, et de nombreux bâtiments représentés - notamment à Tokyo - n'existent plus.

Bun KATSUTA : Tout a été rendu possible par les recherches de mon responsable éditorial. Le plus difficile était de dessiner les scènes de quotidien à Tokyo, à Meguro, ou encore à Iida, dans la préfecture de Nagano, où l’auteur a été évacué. Heureusement, plusieurs musées nous ont aidés, ce qui lui a permis  de rassembler une grande quantité de documents. Pour Tokyo, nous avons pu compter sur l’aide du musée d’histoire de Shinjuku et sur celle de l’université de médecine de Tokyo, où Fûtarô Yamada avait étudié.

Le manga est étonnamment plein d'humour. Est-ce que ça vient de Yamada ? Ses camarades l'accusent souvent de cynisme...

Bun KATSUTA : Oui, l’humour est très présent dans son journal. Pourtant, la sincérité transparaît constamment et la transposer dans le manga n’a demandé aucun effort particulier. 

Fûtarô, journal d'un réformé

En 1945, le futur écrivain Fûtarô YAMADA n’est encore qu’un étudiant  en médecine à Tokyo. Réformé, il observe la guerre parmi les civils qui la subissent sans y prendre part. Dans son journal, témoignage unique, un patriotisme presque paranoïaque, nourri par la propagande et la culture de son temps, se heurte à la réalité d’une souffrance généralisée et absurde qui sape les fondements de la société. 

A travers les yeux d’un jeune homme idéaliste pris dans les tourments de la défaite, la dessinatrice Bun KATSUTA dépeint ses pensées et déboires au jour le jour, pour un résultat totalement inédit : ni une reconstitution fictionnelle ni un livre de mémoires, mais bien un récit authentique à la première personne et au présent de l’année la plus terrible de l’histoire du Japon.  

Série complète en 3 volumes grand format.

© 2020 KEIKO YAMADA, BUN KATSUTA / KODANSHA LTD.